Guesnain

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samedi 31 janvier 2015

LA GRÈVE DES MINEURS DE 1893 VUE PAR "LA LANTERNE" JOURNAL PARISIEN OÙ LA VILLE DE GUESNAIN EST CITÉE POUR DES DÉLITS D'ENTRAVE À LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET 20 ARRESTATIONS DE MINEURS POUR CE MOTIF

NOUS REPRODUISONS CI-DESSOUS LE FAC SIMILÉ DE L'ARTICLE COMPLET INSÉRÉ EN PREMIÈRE PAGE , COLONNE DE DROITE, ET POURSUIVI EN 2È PAGE COLONNE DE GAUCHE. PUIS SA TRANSCRIPTION FIDÈLE AVEC L'ENTREFILET SURLIGNÉ EN JAUNE À PROPOS DE L'ARRESTATION DES 20 MINEURS À GUESNAIN :






LA GREVE DES MINEURS AU PAYS NOIR 

Quarante-cinq mille mineurs. — L'esprit des troupes. - « Y-a-d'quoi crever ». — Inondation des fosses. — Une réunion de femmes. — Les condamnés. — En Belgique. (De notre envoyé spécial) 

Lens, 22 septembre. Celui qui, dans l'ignorance des événements, après avoir parcouru le département du Pas-de-Calais, apprendrait tout à coup que 45000 mineurs y sont en grève depuis huit jours ne pourrait manquer de croire à une mauvaise plaisanterie. Tout est calme ici ; tout est morne : Lens, Liévin, les corons qui avoisinent les fosses, semblent dépourvus d'habitants. Les mineurs, les grévistes, obéissent aux ordres de leur syndicat, aux conseils de Basly, de Lamendicat, et d'Evrard, restent chez eux. consacrant à leurs familles le loisir que leur crée la grève. Seule, la présence inusitée des soldats et des officiers, dont la ville est peuplée, révèle que des événements extraordinaires se passent dans le pays. 

Soldats et ouvriers 

A propos des soldats, je vous ai télégraphié hier que la population de Lens était très mécontente des nombreux envois de troupes faits par le gouvernement. Les habitants sont, en effet, très favorables aux grévistes dont ils appuient ouvertement les revendications ; ils savent beaucoup de gré aux mineurs de leur attitude calme, de la modération et de la sagesse avec lesquelles ils font valoir leurs réclamations. 
Je dois dire aussi, pour être juste, que les officiers et les soldats ne semblent pas très fiers de la mission qu'on leur a confiée. 
Hier, sur la place de la République, où sont campés les détachements du 110è, pendant que les soldats faisaient leur cuisine en plein air, j'ai entendu ce dialogue typique entre un ouvrier, - peut-être un mineur, - et un groupe de fantassins. 
— Qui qu'on v's a m né fé ici? disait l'un, en patoisant. 
— Si tu crois que c'est pour notre plaisir que nous sommes venus,.. répondait un troupier. 
— C'est-y donc qu'v's'allez nous tirer dessus ? 
— As pas peur, va, ma vieille, répartit un soldat, c'était bon autrefois ; à présent, pas de danger : Ouvriers et soldats, nous sommes tous frères. 
En attendant, les pauvres troupiers passent les nuits à parcourir les routes sous le prétexte de protéger les ouvriers qui voudraient reprendre le travail. Peine perdue, du reste, promenades inutiles, car pas un gréviste ne manifeste l'intention de retourner à la mine. La grève est si complète, si générale, dans le bassin du Pas-de-Calais, que les grévistes ont presque partout cessé leurs patrouilles tant ils sont sûrs que personne ne trahira. 

Ronde de nuit 

Cette nuit, vers deux heures, je suis allé, en compagnie de Basly, faire une ronde aux environs de Lens. A Poix, sauf une patrouille de dragons et quelques mineurs qui sont venus nous regarder sous le nez et nous reconnaître, nous n'avons rien vu d'intéressant, rien qui mérite d'être 
signalé. 
Ce matin je suis allé visiter quelques corons des environs. J'ai parcouru ceux des Compagnies de Courrières et de Liévin. C'est dans ces derniers qu’habitent, m’avait-on dit, les mineurs les plus exaltés, les militants, des fortes têtes. J'ai pénétré dans quelques intérieurs, tenus fort proprement, et j’ai causé avec plusieurs de ces grévistes qu'on m’avait fait si terribles, si capables de se porter aux plus détestables excès. Je me suis trouvé en présence de braves gens, calmes, pondérés, simplement décidés à persister, jusqu'à la misère, dans leurs réclamations. 

Faut que ça craque 


- Si c'est qu'on les laisserait fè, m'a dit un gréviste en me parlant des Compagnies, elles nous auraient vite avalés. Voyez-vous, ça peut pas durer comme ça. Faut qu'ça craque! » 
— Tenez, mi qui vous cause, reprit un second, j'ai n'une femme et cinq enfants, eh bin : j'gaigne 3 fr. 60. Y a-t-i point d’quoi crever ! » 
Un autre me raconte qu'autrefois à lui seul, il gagnait à la mine un salaire égal à ceux réunis de deux ouvriers d'aujourd'hui. 
En somme, on peut dire que partout les grévistes tiendront bon. Les femmes même les encouragent à persister : 
- Nous aut', m'a dit l'une d'elles, nous s'n'occupons point d'ça ; c'est point notr affé ; mais quand même, les hommes font bin d'être en grève ! » 

Entrevue de Basly et Baudin 


Ce qui ne contribue pas peu à donner du courage aux grévistes, c'est la certitude où ils sont à présent, que les approvisionnements des Compagnies sont très faibles. Tout à l'heure on annonçait que les fours à coke de Dourges étaient éteints, faute de charbon, Basly m'expliquait en riant dans sa barbe, que l'inondation gagne rapidement la fosse de Meurchin et que l'ingénieur a dû venir d'Arras afin de faire réquisitionner le personnel nécessaire pour l'épuisement. 
A propos de Basly, je puis vous annoncer qu'il doit avoir avec Baudin une entrevue, à Arras, aujourd'hui ou demain, afin de s'entendre avec lui en cas de grève générale de tous les mineurs de France. 

Les conférences 


De nombreuses conférences ont lieu aujourd'hui sur tous les points du bassin houiller. Une réunion très importante a eu lieu ce matin, à onze heures, à Billy-Montigny, à laquelle étaient convoqués tous les mineurs de la Compagnie de Courrières. 
Environ deux mille grévistes y assistaient. Evrard, le secrétaire du syndicat, a exposé le programme des revendications. secondaires. 

À Anzin 

Il est certain qu'à présent tous les efforts des grévistes vont se porter dans le Nord, et plus spécialement à Anzin. Ils espèrent que la distribution du manifeste portera ses fruits et que lundi la grève éclatera dans ce bassin. 
Lamendin est parti aujourd'hui pour Dourches. 

A Denain 

Déjà une certaine effervescence règne à Denain qui est le principal centre houiller de la concession d’Anzin. On pense que la grève éclatera d'ici peu. 

La réunion de Fenain 


Lille, 22 septembre. — Une réunion a eu lieu ce soir à Fenain. Cinq cents personnes y assistaient, dont les trois quarts étaient des mineurs de villages voisins. 
La grève a été votée à mains levées à l'unanimité par les mineurs de Fenain. 
Aucun incident. 

Influence cléricale 


Lens, 22 septembre. — Pendant la journée, l'influence de la paye s'est fait un peu sentir. Tout à l'heure, deux délégués, mécontents de n'avoir pas été désignés comme arbitres, faisaient, - les chopes de bière aidant, - des reproches assez vifs à Basly qu'ils accusaient de mollesse. 
Le député de Lens, qui ne cesse de prêcher le calme aux grévistes et qui les 
engage surtout à ne pas gaspiller leur argent dans les estaminets, a relevé vertement, dans le rude patois du pays, ses deux interlocuteurs : 
— « Criez pas tant ; c'est les chopes qui vous font bêtiser. Mi j'crie moins, mais j’agis. On verra bin les carbonniers qui tiendront le pus longtemps. » 
En réalité, ce que le syndicat semble craindre surtout, c'est que les grévistes fréquentent, par ennui, les cabarets et n'y laissent l'argent de leur paye. 
— « S'ils sont sages, me disait Basly, ils peuvent tenir la grève pendant un mois 
au moins, sans souffrir du chômage, car tous ont des ressources suffisantes. D'ici là, les Compagnies auront capitulé. » 

Une conférence à laquelle assistaient environ 1,800 grévistes, a eu lieu à Nœux. 
C'est Albert Goullé qui l'a faite. Il a parlé de la situation des paysans et des mineurs dans la société actuelle. Aucun incident ne s'y est produit.. Du reste, les réunions publiques de ce pays sont bien différentes de celles qu'on organise à Paris. Ici, on écoute et on est sage. 
Comme je vous l'ai dit, j'ai parcouru ce matin les fosses des environs. J'y ai constaté que la population des mineurs subissait une pression cléricale inouïe. 
A Nœux, par exemple, l'agent général de la Compagnie reçoit le dimanche, après la messe, les femmes des mineurs et distribue des pièces de 1 fr. à toutes celles qui y ont assisté. 
On m'a nommé des porions qui, quoique n'ayant jamais manié un outil de mineur, ont obtenu leurs emplois à force de fréquenter les offices et de visiter les curés. 

Nouveaux envois de troupes 


Cinquante gendarmes étrangers au département du Nord sont arrivés à Douai 
pour renforcer les escouades de gendarmerie, afin de permettre que partout les patrouilles de cavalerie soient toujours précédées de gendarmes. 
Des deux escadrons de cuirassiers arrivés hier à Douai venant de Lens, l'un a été dirigé sur Fenain et l'autre sur Marchiennes. 

Choix des délégués 


La commission désignée dans le dernier Congrès s'est réunie ce soir, à deux heures, à Lens sous la présidence de M. Basly, député, pour choisir des délégués qui seraient chargés de soutenir leurs intérêts vis-à-vis des représentants des Compagnies minières dûment autorisés. 
Ont été désignés : MM. Beugnet, des mines de Béthune ; Delcourt, des mines de Lens, Paris, des mines de Dourges ; Cadot, des mines de Bruay ; Poiret, des mines de Marles, Cordier, des mines de Carvin, Evrard, secrétaire adjoint; Lamendin, secrétaire général, et Basly, président du 
syndicat des mineurs du Pas-de-Calais. 
Avant de se séparer, la commission a voté l'ordre du jour suivant : 
Désireux d'user de tous les moyens de conciliation propres à faire aboutir les revendications des houilleurs, nous attendons que des propositions soient faites par les Compagnies. » 

Les mécaniciens et les chauffeurs des mines de Meurchin ont été également requis par le maire pour reprendre le travail, afin d'épuiser les eaux des fosses menacées d'inondation. Ils ont refusé énergiquement d'obtempérer à cette réquisition. 

Une circulaire 

Lille, 22 septembre. — M. Louis Dambre, directeur-gérant de la Compagnie de Douchy, a fait distribuer aux ouvriers une circulaire dans laquelle il les engage à désister aux excitations des grévistes. 

Demande de mise en liberté 

Le délégué Morel, de Monchicourt, est allé trouver M. Dubois, député de Douai, pour le prier de faire une démarche auprès du préfet afin d'obtenir la mise en liberté d'Eugène Damiens, arrêté pour faits de grève. 
M. Dubois s'est rendu ce matin à la préfecture. 

Les réunions 


Dans une réunion tenue hier à Douchy, salle Lebecq, les orateurs ont engagé les mineurs à continuer la grève avec persévérance pour obtenir gain de cause dans leurs revendications. 
Le sous-préfet de Valenciennes est venu hier à Douchy. 
Hier soir à Lourches, 200 femmes se sont réunies à la salle Delaarde. Après la nomination de Mme Loriane à la présidence, le citoyen Prévost a pris la parole et a engagé les assistantes à conseiller à leur maris et à leurs frères de persévérer dans leurs revendications. 
Parlant ensuite des non-grévistes, le citoyen Prévost a dit : « Ne les molestez 
pas, car leurs gendarmes vous guettent ; mais vous les jugerez comme ils le méritent. » 
Après avoir recommandé lé calme à la sortie, la réunion s'est terminée sans incident. 
On pense que la grève éclatera probablement lundi à Anzin. Des conciliabules se sont tenus dans ce but. 

Arrestations et condamnations 


Douai, 22 septembre. Ce matin, vingt arrestations ont été opérées à Guesnain, pour entraves à la liberté du travail. 
D'autre part, le tribunal correctionnel de Douai vient de prononcer les condamnations suivantes : 
Monier, vingt ans, mineur à Dorignies, accusé d'avoir empêché le travail, à quinze jours de prison; Edouard Duez, vingt-sept ans, mineur à Somain, accusé d'avoir traité de menteur un gendarme, trois jours de prison, ayant déjà subi deux jours de prévention ; Emile Mercier, quarante-quatre ans, mineur à Somain, accusé d'avoir outragé le colonel du 19e chasseurs, de l’avoir traité de fainéant et d'avoir ajouté : « Tu te sens de force aujourd'hui, mais demain tu auras de mes nouvelles »: deux mois de prison ; Jean-Baptiste Ucher, vingt ans, mineur à Somain, accusé d'outrage au sous-lieutenant Prévost du 19e chasseurs, quinze jours de prison ; Damien, vingt-huit ans, mineur à Monchicourt, accusé d’entrave à la liberté du travail, quinze jours de prison. 

En Belgique 

Mons, 22 septembre. — Demain, on doit afficher dans les charbonnages de Maribond et de Bascou qu'une augmentation de salaire sera allouée aux mineurs. 
Les charbonnages de Haine-Saint-Pierre ont reçu d'importantes commandes de 
charbon pour le Pas-de-Calais. 
Il n'y a jusqu'ici aucun indice de grève. 
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