Suite de l'article :
Voici l'article extrait des deux pages, consacré au charbon dans le Nord et à l fosse Saint-René :
PRODUIRE PLUS ? LA FRANCE LE PEUT ! COMMENT ?
CARBON ! CARBON !
Du fond de son puis sombre, le mineur crie :
« Nous voulons, et c’est possible, produire davantage… On nous en empêche ! »
Et déjà voici recueillis sur place quelques faits qui se répètent 100 fois au Pays noir
(De. notre envoyé spécial Pierre MARS.)
Douai, septembre.
Jean travaille au puits “l’Archevêque, à Aniche, au cœur du pays noir, mais ce lundi, je l’ai trouvé dans son jardinet attenant au coron terne, aux intérieurs
nets et propres. De là on voit la mine avec ses bâtiments de briques noircies, son chevalet métallique ajouré. Au loin, un long terri barre l'horizon comme une colline. Lundi : c'est le deuxième jour de repos des mineurs, depuis les 40 heures c'est un deuxième jour à rester à la lumière du jour, à revivre un peu sous ce soleil de septembre un peu lourd, mais- qui semble si bon, à ces hommes de la nuit, paysans noirs qui descendent dans les profondeurs mystérieuses de la terre qu'ils grattent et creusent pour produire « le pain noir de l'industrie qui nourrit les machines et vous réchauffera l'hiver.
Et cela fait 35 ans que je descends à la mine : j'ai commencé à 12 ans. Mon père, avant moi, avait fait au fond du même puits 45 ans. 45 ans à répondre aux appels des porions » Carbon Carbon » Il est mort, usé. Avant lui encore, mon grand-père l’avait précédé. Et mon frère aîné a, lui, 40 ans de fond. Trois générations de cette même famille - le cas est loin d'être rare - se sont succédé ici, comme ces familles de fermiers qui sont restés de père en fils dans la même exploitation, et, du grand-père au petit-fils, ils ont pris le même chemin, rampé le long des mêmes galeries.
_ Nos vieux pères, avec leurs pics, n'avaient pu épuiser la fin des petites veines étroites - 30 à 35 centimètres cle large - où il faut se mettre à plat ventre ou sur le dos, le marteau piqueur devant soi, comme on peut..
Curieuse application du progrès mécanique, cet épuisement des minces filons...
Mais il n'y a donc pas, ailleurs, des veines d'un rendement meilleur ? Si, et le puits est percé jusqu'à 500 mètres, depuis l'avant-guerre, avec des veines de 1 m. 20. Mais la direction ne s'est pas préoccupée, ces dernières années, de faire des travaux préparatoires comme c'était de règle. Et l'on nous a avisés qu'il faudra s'arrêter bientôt, le temps de rétablir les galeries plus profondes et obstruées.
- Et cela demande du temps !
- Dix-huit mois.
Des berlines !
Du matériel !
En sortant dans la rue calme animée seulement par. les exclamations des joueurs de boules, nous avons rencontré deux autres mineurs qui travaillent à rabotage et chez l'un d'eux nous avons repris notre causerie interrompue. La production les préoccupe et ils le disent avec leur accent chantant et leur langage savoureux
_ T'vas voir si on est des courageux ou des fainéants comme ils disent qu'on est maintenant. A c't'heure on demande des chariots pour nous travailler !
Il me déplie un tract jaune adressé « aux camarades du puits l'Archevêque » où je lis :
« Depuis que nous bénéficions de la loi de 40 heures et des congés payés, le Comité des Houillères ne sait que faire pour nuire à la production charbonnière. C'est dans ces conditions que les dirigeants des Compagnies essaient divers moyens de sabotage, par exemple le manque de chariots pour l'écoulement des charbons, de sorte que les mineurs perdent une heure et demie de travail ».
_ Voilà un document accusateur. Ça ne se passe pas, rien qu"à l' Archevêque, dit son compagnon ; on peut te citer dix cas comme cela, sans compter les "couloirs" qui manquent, les monteurs à carbon qui fonctionnent mal.
« Mais écoute ce qui. vient de se passer au puits Dechy :
« A ce puits, où 1050 ouvriers travaillent, 2.000 berlines de 500 kilogs sont remontées par poste. Mais il manque du matériel et surtout des «barroux» (berlines).
Une comédie qui dure
« Notre délégué mineur, dans une lettre adressée le 17 juin dernier au ministre des Travaux publics affirmait déjà :
« II m'est permis, Monsieur le Ministre, de, vous certifier qu'au seul puits de la Compagnie des Mines d'Aniche, on peut, sans que les ouvriers se plaignent (au contraire) remonter 5 à 600 berlines de charbon en plus par journée de travail. Il s'agit d'une comédie qui dure depuis quatre mois. »
Et depuis, trois autres mois se sont écoulés. Après cette lettre cependant, une amélioration légère survint dans le matériel, mais la direction dut reconnaître, à une délégation ouvrière venant une fois de plus exiger du matériel, qu'elle manquait de 300 berli-
nes « commandées depuis longtemps »
ajouta le directeur général.
Admettons-le mais alors pourquoi, au début, certain haut-personnage de l'exploitation, recommandait-il aux porions de cacher qu'il manquait des berlines et d'affirmer, au contraire, que la mauvaise, volonté » des mineurs était cause de la baisse de la production?
Où est donc la mauvaise volonté ? Et si, comme on le déclare maintenant, c'est le travail pour la Défense nationale dans la métallurgie qui est la cause du retard de livraison de matériel minier, ce n'est certainement pas ce motif ou ce prétexte que l'on peut invoquer pour les faits
Une démonstration générale
En juillet, le délégué mineur au puits Saint-René, à Guesnain (concession des mines d'Aniche) signalait avec satisfaction dans le journal syndical, que dans ce puits la production individuelle était en augmentation et permettait avec le même nombre d'ouvriers, de produire en cinq jours, la mêrne quantité de charbon qu'en six jours auparavant (avant les 40 heures et les lois sociales). Ici une parenthèse. Je.suis passé au siège du syndicat et j'ai obtenu communication du rapport du délégué mineur, le camarade Duez c'est un rapport complet, une pièce irréfutable, que la commission d'enquête pourra consulter.
Il y est démontré que la production journalière individuelle (fond et jour) passe de 1 chariot 75 en octobre 1936, à 2 chariots 15 en mars 1937, soit «une augmentation de 23%. Duez concluait, en précisant qu'un même nombre d'ouvriers (1.050) avaient produit en deux semaines de six jours (octobre 1936) 22.068 chariots (berlines) et en deux semaines de cinq jours (mars 1937) 22.570 chariots. Ainsi on enregistrait, non seulement une production égale en cinq jours de travail au lieu de six, mais une augmentation
Pourquoi ? Parce que les mineurs avaient, comme l'ensemble de la classe ouvrière, la volonté de produire, de prouver que les lois sociales ne gênaient pas la production, les mineurs, disons-nous, en plus, travaillaient là dans des conditions normales veines moyennes (de 0,75 à 1,40 d'épaisseur), matériel relativement satisfaisant.
Ça ne pouvait pas durer. Et le mineur reprend :
En. août dernier, on eut la surprise d'apprendre que 90 mineurs qualifiés du puits Saint-René étaient déplacés et envoyés au puits Delloye, sur le territoire de la commune de Lewarde, à la pointe du bassin minier d'Azincourt. Or, au puits Delloye, les veines sorit à peine de 30 à 35 cm, d'épaisseur, et pleines d'étreintes (terre) et de relais (gros cailloux) qui font perdre un temps énorme, « Ça apprendra aux mineurs de Saint-René à démentir les affirmations patronale. Car, bien entendu, on n'a pas remplacé au puits Saint-René les 90 ouvriers enlevés qui, à Delloye, produiront 25 à 30 % en moins, inévitablement, malgré la meilleure volonté. Et ce n'est pas le prétexte trouvé par la Compagnie (faire travailler les mineurs habitant une localité dans les puits situés sur cette même commune), qui donnera le change si les 90, ouvriers déplacés habitent bien Lewarde, cette mesure n’a été prise, que pour le puits Saint-René, et les mineurs de Lewarde travaillant à, Masny y restent, ceux qui habitent Guesnain vont toujours à Dechy, etc. La cause est entendue On a voulu, à tout prix, faire baisser la moyenne de production du puits Saint-René et par répercussion, de la concession tout entière !»
Il faut écouter les producteurs
Il est inutile d'ajouter que ces exemples sont pris dans les puits de la Compagnie des Mines d'Aniche où la production s'est maintenue à peu près à son niveau de 1936. Pourquoi ? Parce que c'est encore dans cette Compagnie que le matériel est le moins mauvais, et que l’outillage a été imparfaitement cependant, on l'a vu renouvelé.
La conscience professionnelle des mineurs elle, est la même, est-il besoin de le dire, dans les autres concessions, mais les manoeuvres, la politique néfaste et à courte vue suivie pendant les années de crise par les magnats de la mine y ont été, ou sont plus graves encore - a fait le reste.
Mais eux-mêmes savent que l'on peut faire mieux. Ils dénoncent encore la politique consistant en une baisse des prix à la tâche, pratiquée à l'heure actuelle par le patronat, politique qui « leur casse les bras » et qui est: un autre moyen de sabotage. Et enfin, avec tous leurs frères du pays noir ils disent, comme ce vieux mineur qui était en face de moi Le mineur le crie au gouvernement : C’est le comité des Forges qui n’en veut pas de la production Et son voisin concluait, en frappant la table du plat de sa large main où le noir charbon a laissé des traces indélébiles :
Même chez nous où les veines sont défectueuses, si on avait ce qu'il faut, la journée du lundi, on la rattraperait largement !
Les mineurs, dans le respect de leurs droits à la vie et de leur honneur d'hommes - trop longtemps odieusement bafoué - veulent produire : qu'on les écoute 1
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