Guesnain

Guesnain

lundi 30 mars 2020

La Grève générale des mineurs dans le Nord, La fosse Saint-René, "citadelle imprenable" sous l'emprise de Maroquin














DANS LE NORD Enfin, voilà de la troupe. — La fosse de Guesnain cernée par les cuirassiers. — Le chômage aux mines d’Aniche. — Mesures révoltantes de la Compagnie. 



Dans I’Escarpelle, rien de nouveau. Comme toujours le chômage est général et les grévistes gardent leur calme absolu. Hier a eu lieu la remise des carnets du salaires pour la quinzaine écoulée. Les grévistes ont, en effet, de cinq à sept jours de présence à la mine, avant la déclaration de grève. Signalons, à ce sujet, un procédé d’autant plus odieux de la part de la Compagnie, qu'il n’a pas toujours été en vigueur. En effet, on retient aux ouvriers, sur le maigre salaire de leurs quelques journées de travail, le prix des outils abîmés ou perdus. En sorte que certains n'auront à toucher aujourd'hui que quelques sous. Il est vrai que les Compagnies escomptent la détresse de l’ouvrier pour l'amener à soumission, c’est-à-dire à reprendre le travail Cette tactique est élémentaire, et l'on ne saurait réclamer plus de grandeur d'âme au féroce capitalisme. 

AUX MINES D ANICHE 

Dans la commune d'Aniche, trois fosses peuvent être considérées comme entièrement acquises au mouvement. Ce sont celles de Notre-Dame, Gayant-Bernicourt et Dechy. Celte dernière où, samedi l'on comptait encore la moitié des descentes, a été abandonnée lundi par la presque totalité des inscrits, soit 512 grévistes, ce qui, avec les 600 des deux autres fosses donne un total de 1100 grévistes. 

A LA FOSSE DE GUESNAIN 

Reste la fosse de Guesnain, la citadelle réputée imprenable de la concession d’Aniche. Il est de fait qu’elle est défendue par tous les moyens possibles, légaux et surtout illégaux. Néanmoins, samedi matin, on y comptait une centaine de manquants. Dieu, ou plutôt le Diable, sait pourtant à quelles scandaleuses extrémités se sont portés les larbins de la direction, à commencer par le fameux Maroquin, qui, accompagné de ses quatre gendarmes, allait réclamer jusqu'à domicile, les ouvriers qui se disposaient à faire grève. Ces manœuvres n’ont point empêché le mouvement de s'accentuer dans des proportions significatives.
Il n'y a pas à s'y méprendre, la fosse de Guesnain est désormais affranchie du joug patronal. Tous les maroquins du monde n'y feront rien. A preuve que lundi matin, en dépit, — peut-être à cause, qui sait, — du ridicule déploiement de troupes inauguré aux abords de la fosse et sur lequel nous allons revenir, le nombre des grévistes a plus que doublé. Il y avait plus de deux cents manquants hier matin, c’est-à-dire la moitié des inscrits, et cela sans la moindre pression de la part des autres grévistes. 

L’APPEL AUX SOLDATS 

Comme nous l’avons signalé hier, la direction des mines d'Aniche réclamait des troupes à cors et à cris, sûre de la complaisance pour ne pas dire de la complicité de M. le sous-préfet de Douai. Nous osions encore espérer hier matin que l’attitude de ce piètre agent serait surveillée en plus haut lieu et qu’on examinerait sérieusement ses rapports et requêtes avant d'y donner quelque suite. Il faut croire qu’on a eu quelque distraction en haut lieu, comme nous le disions, car M. Allard est arrivé à ses fins. Nous ferons remarquer en passant que cette distraction doit être également cause que la légitime réclamation, télégraphiquement adressée par Goniaux au préfet du Nord, concernant l’entrave apportée par les agents des Compagnies avec l'aide des gendarmes, à la liberté du droit de grève, est demeurée sans réponse. Nous l’attendons impatiemment, cependant. 
Le sous-préfet de Douai est donc arrivé à ses fins, disions-nous. 
En effet, la nuit dernière deux escadrons du 4e cuirassiers sont arrivés de Cambrai pour occuper militairement les communes de Dechy, Guesnain et Lewarde. 
Naturellement, personne ne s'attendait à cette invasion de troupes. 
Aussi lorsque, dans la soirée, les escadrons, en quête d’un logement, arrivèrent à Sin-le-Noble, et qu’un officier s’adressa à M. Wilmot, maire de la commune, pour lui demander où s'abriter, celui-ci dut s'enquérir de par qui le détachement était appelé sur son territoire. On lui répondit que c’était par l’ingénieur-directeur des mines d’Aniche, ce à quoi M. Wilmot fit observer qu'il était alors plus logique de s’adresser au dit ingénieur pour se procurer le logement ; néanmoins, vers onze heures du soir, les soldats furent casés dans l’ancienne carrosserie Lion route nationale. 

IMPOSANT SPECTACLE 

Dès deux heures du matin, les deux escadrons de cuirassiers ont été dirigés l’un sur Guesnain, l’autre sur Lewarde. Nous avons eu la curiosité d’aller faire une exploration par là, et vraiment le spectacle, comme grotesque, en valait la peine. Avant d'arriver à Guesnain, sur la grand'route, nous nous heurtons dans le premier escadron, planté là sur la route, attendant on ne sait quoi. Pauvres cuirassiers. Ce qu’ils doivent en faire des réflexions, sur la nécessité des armées permanentes ! 
Nous poussons plus loin, jusqu’à Lewarde. Là, le second escadron, divisé en escouades de patrouille, parcourt la commune en tous sens, guidé par les gendarmes. 

HEUREUSE RENCONTRE 

Nous avons le bonheur, dès notre entrée dans Lewarde, de rencontrer le sieur Maroquin, géomètre-garde-chiourme de la compagnie, surnommé la « Terreur des Corons ». L'individu tient toujours sa lanterne à la main et peut-être s’apprête-t-il à nous la mettre sous le nez. Mais, est-ce intuition soudaine, il s'arrête, se retourne vers les gendarmes qui l’escortent, et ceux-ci s’éloignent aussitôt.
 Il va sans dire que nous n’avons nullement éprouvé le besoin d'entrer en connaissance avec le personnage. 

LES PATROUILLES 

De quatre heures du matin jusque six heures et demie, des patrouilles de cuirassiers ont fait la navette entre Guesnain et Lewarde. Pourquoi ? Sans doute pour prendre du mouvement, et peut-être aussi dans la vague intention d’assurer la sécurité des ouvriers se rendant au travail. A moins que ce ne fût simplement pour protéger la besogne des porions en racolage sur la route, sous la haute direction du dénommé Maroquin. En somme, le plus clair de toute cette mise en scène intempestive, c’est que plus de deux cents mineurs ne se sont pas rendus à la fosse de Guesnain, lundi matin, et que le nombre des grévistes ira toujours en augmentant. Ce qui prouve que le droit prime la force, d’une certaine façon. 

ODIEUX PROCEDES DE LA COMPAGNIE 

Disons, pour finir, que la compagnie des mines d’Aniche, non contente de ses exploits accoutumés, vient de solliciter de la sous-préfecture de Douai un « arrêté » dans lequel les maires de la circonscription interdisent aux mineurs grévistes de circuler sur leurs territoires pour y chercher les pommes de terre que les cultivateurs négligent de ramasser dans leurs champs, après l’arrachage. Voilà qui révolte la conscience de tous les honnêtes gens, et si ce bruit ne nous revenait de plusieurs bouches, nous refuserions d’y accorder quelque crédit. En tout cas, nous nous faisons un devoir de nous en faire l’écho, dans l’espoir que la sous-préfecture, si sujette à caution, hésitera à leur faire prendre plus de consistance. Maurice SAVARY.


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