Guesnain

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vendredi 3 avril 2020

Grève générale des mineurs dans le Nord, un article du Réveil du Nord du 16 octobre 1902







Grève générale 
DES MINEURS 
OHE LES JAUNES ! 

Les jaunes sont en train de se manger le nez, il y a du tiraillement. 
L’ « Union Ouvrière » annonce, en effet, que :
" Le Conseil prononce les exclusions de MM. Biétry, Verleye, Jarry. 
« A l'unanimité, le Conseil s’élève contre la conduite infâme de Biétry, et manifeste hautement sa réprobation et son indignation au sujet de l’attitude de Biétry et de ses acolytes ; prie le secrétaire général de faire connaître à toutes nos organisations les décisions du Conseil prises à l’unanimité et de mettre en garde les adhérents de nos syndicats, contre les agissements et les manœuvres de nos pires ennemis, étant édifiés par les preuves matérielles et indéniables établissant le « complot » organisé par ces messieurs, sourdement, auprès de nos syndicats de province, contre notre œuvre, et ce, au profit d'ambitions personnelles. » Allons, tout va bien ; la discorde règne au camp jaune. Continuez, Messieurs. 
Nous marquerons les coups, et puis c’est drôle la galerie qui s’esbaudit fort de vous voir entre dévorer. 
A quand Lanoir ? 


Attroupements de grévistes


 On a lu la version officieuse, sinon officielle, de la bagarre de Terrenoire, près de Saint-Etienne. 
Il est une constatation qui en ressort dès maintenant : deux ouvriers ont été tués, et le gendarme qui a fait feu n’était pas en état de légitime défense. Il n’a fait aucune sommation, lancé aucun avertissement. 
C’est un crime. 
La loi de 1848 sur les attroupements est, en effet, précise sur, ce point. Les agents de l’autorité ne doivent faire usage de leurs armes qu’après trois sommations, et, s'il faut admettre, par impossible, que les cailloux qu’on lui jetait eussent pu mettre sa vie en danger, le gendarme aurait dû, tout au moins, décharger d’abord son revolver en l’air pour effrayer les « manifestants ». On ne saurait, d’ailleurs, trop rappeler les termes de cette fameuse loi sur les attroupements, qu’on invoque toujours à tort en temps de grève. L’article premier est ainsi conçu : Tout attroupement armé formé sur la voie publique est interdit. Est également interdit, sur la voie publique, tout attroupement non armé qui pourrait (??) troubler la tranquillité publique. Or, comment voulez-vous qu’il n’y ait pas d attroupement ? Ils sont cent mille, les mineurs qui, hier, travaillaient au fond de la mine, et que la grève a d'un seul coup, rendus à la vie des champs. Entassés les uns sur les autres, dans des maisonnettes contiguës, construites sur le même modèle et alignées au cordeau, il leur est impossible de faire un pas dans la rue. sans se rencontrer et ils causent. Attroupement ! Que quelques gendarmes passent au moment où, victimes des mêmes abus, souffrant les mêmes douleurs, ils discutent entre eux, à leur porte, des moyens de mener à bien la défense de leurs intérêts, et, c'en est fait, voilà des homme: qui ne faisaient aucun ma!, qui ne menaçaient en aucune façon la tranquillité publique, qui jouissaient, comme tous les citoyens, du droit de se promener et de parler librement de leurs affaires, et auxquels l’ordre est cependant donné de se disperser. 
Circulez !. Circulez. ! 
Je ne sais rien de plus révoltant que celte apostrophe que les sergots lancent le plus souvent à des badauds que le hasard a massés dans quelque coin pour voir un cortège, une cavalcade, ou la binette d'un empereur : il faut que le cortège passe, que la cavalcade défile, et que les empanachés de l'escorte impériale aient l’espace suffisant pour caracoler. Mais là bas, au Pays Noir ? Où est-elle cette raison ? La rue est libre. Les champs sont vastes. La plaine s'étend à l'infini, et les ouvriers sont chez eux. 
N'importe, il faut circuler. 
Si, au lieu d’être en grève et occupés à défendre leurs intérêts, les mineurs en même nombre se réunissaient à l’occasion d’une fête quelconque, autour de baraques foraines pour voir les pitreries d’un clown, ou entendre les vagissements d’une « femme poisson » personne ne viendrait les troubler. 
Ainsi, le Circulez ! Circulez ! que font retentir brutalement à toute minute à leurs oreilles, les gendarmes, les soldats et les officiers, devient à leur adresse, une véritable et perpétuelle provocation. 

Bassin du Nord 

A part de nouveaux envois de troupes, rien de nouveau à l’Escarpelle, à Aniche, à Flines, ni à Azincourt.

L'arrivée de deux compagnies du 84 d'infanterie, et l’attente de dragons et de cuirassiers n’en sont que plus ridicules, en raison du calme imperturbable des grévistes. La compagnie d’Aniche a réussi, nous l’avons dit hier, à ramener quelques ouvriers à Guesnain et à Dechy, en leur promettant 40 % de prime, mais le nombre de ces reprises est tellement insignifiant qu’il n’attire pas même l'attention des grévistes. Toutefois, dans le but de faire croire à une importante reprise du travail, la compagnie, lorsqu'on la sollicite de fournir le nombre des descentes, accuse en bloc celui des ouvriers du fond et celui des ouvriers de l'extérieur, de façon à grossir le chiffre. En réalité, sauf à Guesnain, le chômage peut toujours être considéré comme complet dans les autres fosses. 

AU « DOUAI REPUBLICAIN » 

Nous avons flétri ici même, comme elle le méritait, l'attitude odieuse du journal « Douai-Républicain » vis-à-vis des mineurs. Cette feuille, vendue à un sous-préfet réactionnaire, et non moins dévouée aux intérêts quasi-similaires de certain capitaliste, ex-deputé et récemment décoré, cette feuille n'a pas reculé devant les insinuations les plus perfides et les plus abjectes, dans le oui (le discréditer le syndicat des mineurs du Nord et d’ébranler la confiance des syndiqués dans leur organisation. Et nous le répétons, ceux qui aujourd'hui s’attaquent de la sorte au principe d’une organisation dont ils redoutent l’extension, ceux qui éructent leur bave venimeuse sur le syndicat sont ceux-là mêmes qui, il y a moins de cinq mois, s’aplatissaient devant ses représentants à Somain, sollicitant leur appui pour déterminer l’appoint des mineurs en faveur de la candidature Cardon. Et M. Cardon, qu’on ne l’oublie pas, s’engageait à soutenir, avec Basly, Selle et Lamendin, toutes les revendications minières. 
Après cela faut-il s’étonner si, au cours d’une réunion gréviste, les mineurs ont voté un ordre du jour de flétrissure au journal qui employait contre eux des armes aussi déloyales ? Certes, notre confrère en est pour sa honte et point ne lui sert de tourner sa rancune contre Goniaux qui n’en peut mais. Ce sont tous les mineurs syndiqués qui ont ressenti l’affront fait à leurs dirigeants, et ce sont tous les mineurs syndiqués, et même bien d’autres, qui tiennent à le laver.  
En outre, dans son numéro d’hier, le « Douai-Républicain », en termes amphigouriques, nous répond qu’il ne répondra pas, mais il nous invite à ne pas prendre son silence comme un acquiescement à ce qu'il nous plaît de raconter. 
"Chaque chose viendra à son tour », conclut-il. C’est avec cette formule qu’on se tire d’affaire, lorsqu’on est embarrassé. Et c'est aussi avec cette formule qu’on peut prendre son temps pour méditer de nouveaux mensonges ou d’autres infâmies. En tout cas, n'importe. Nous attendrons, fût-ce sous l'orme. 

A SOMAIN 


Le « Réveil » d’hier faisait connaître aux lecteurs que cinq mineurs de Somain devaient comparaître, jeudi, devant le tribunal correctionnel de Douai, sous l’inculpation d’entraves à la liberté du travail. Afin d’édifier la population sur les mesures vexatoires qu’exerce la compagnie d’Aniche, je tiens à faire connaître dans quelle condition j’ai pu entendre, de la bouche d’un mineur, les actes de pression et d’intimidation (on devrait dire d’inquisition) dont se serait rendu coupable un ingénieur des mines d'Aniche. Passant mardi 8 octobre, vers six heures du soir, dans la rue Thiers, mon attention fut attirée par un groupe formé autour du jeune R.., mineur, demeurant rue du Masy, à Somain ; j’approchai et j’entendis ce qui suit : R... racontait que la veille, un ingénieur et des porions l'avaient sommé de déclarer, sous peine d’être mis à la porte, que le mineur M..., demeurant également à Somain, l’avait arrêté en se rendant à son travail. Or. M..., malade et restant chez lui, avait fait sa première sortie pour aller voir la ducasse. M... fut appelé à la gendarmerie pour enquête. Il s'y rendit accompagné du jeune R...; là, pressé de questions, ce dernier avoua qu’il avait accusé M... sous peine de renvoi, mais, qu’en réalité, il ne l’avait pas vu. Ces procédés sont indignes d’un honnête homme, c'est pourquoi je tiens à les signaler au public. 

REUNION PUBLIQUE 


Mardi, à onze heures, devant 300 auditeurs, le citoyen Goniaux est venu faire une conférence. Après avoir mis les mineurs au courant de la situation, il les engage à garder le calme qu’ils ont su montrer jusqu’à présent. Un ordre du jour par lequel les mineurs s’engagent à continuer la grève jusqu’à complète satisfaction ; engagent les citoyens Selle, Basly, Lamendin, Bouvert, enfin tous les députés de la corporation et socialistes, à défendre avec énergie leurs intérêts ainsi que les revendications étudiées dans leurs congrès, en approuvant ses décisions, a été volé à l’unanimité. 
La sortie s’est effectuée sans incident, sous la protection de trois gendarmes et au chant de l'« Internationale ». 

DANS LE BASSIN D’ANZIN 

LA SITUATION 


Comme avant-hier, les statistiques ont chômé, elles aussi, hier : et la Compagnie d’Anzin aurait fait savoir solennellement qu’elle fermait ses portes. Elle se contente de réclamer, sans trêve, des troupes pour garder ses fosses, que les grévistes pourraient, paraît-il, escamoter. 
Les dépêches de la nuit, de lundi à mardi n’annoncent aucun incident et à certains endroits où l'on avait cru nécessaire d’envoyer de nouvelles troupes, il semble qu’on ait eu conscience que les craintes de trouble étaient vraiment exagérées, car on a rappelé les renforts. 
Ainsi a-t-on fait à Quiévrechain et à Onnaing, où on avait concentré deux pelotons de cuirassiers et une section d'infanterie. Les réunions ont eu lieu, comme d'ordinaire, très enthousiastes partout en faveur de la grève, et les grévistes ne se départent point de leur attitude calme et de leur discipline. 

HARMONIE CAPITALISTE 
La presse de « l’ordre ». — Un gendarme par la fenêtre. — Le mot pour rire 


Il serait suggestif de relever les mensonges, les insinuations, les calomnies habiles, des journaux capitalistes, qui, dans une touchante unanimité, transforment le mouvement gréviste en un « chambardement » général, et les mineurs en autant de criminels. 
Le moindre incident, vu à travers le prisme de leurs préventions et de leurs haines, devient une bagarre sanglante, un véritable carnage. 
On avait fait sauter un pont à Quiévrechain... on avait assailli un chef de carreau à Escaupont... on avait tué un gendarme à la fosse Lagrange... deux jaunes à Abscon. On, c'est-à-dire les grévistes. Or, de tous ces faits, un seul avait quelque fondement : un gendarme était blessé à Escaupont et voici comment : 
En poursuivant un gréviste, il avait — sans aucun droit — pénétré à sa suite dans une maison. Le gréviste, agile, passe par la fenêtre et disparaît, tandis que le gendarme, lourdaud, veut suivre le même chemin, et s'étale sur le sol, se faisant quelques contusions. La chanson, chez nos confrères, se termine toujours par le même refrain : l'ordre n’est pas assuré, on manque d’énergie... Et leur emboîtant le pas, on voit défiler, à la sous-préfecture, des tas de braves gens dont la frousse se traduit par une demande d'alguazils, pour la protection de leur personne et de leurs propriétés, nullement menacées. Voyons, messieurs, un peu de franchise ! les « mesures d’ordre » que vous réclamez si âprement, est-ce une fusillade ? Parce que les grévistes auront décidé de faire une sortie, parce que, serrés autour du drapeau syndical, ils auront voulu user de leur droit ,en manifestant légalement ; parce que, à un potion insolent et provocateur comme celui qui lundi après-midi, à Lourches, insultait le cortège, un coup de poing a répondu, il faudrait sabrer, emprisonner, faire des fosses et des corons autant de forteresses, d’où les mitrailleuses feraient à leur tour « merveille » ! 
A côté de ces rêves sanguinaires parfois, la note donnée par la presse antigréviste, est d’un comique réel : Lisez ce fragment d’interview pris à un mineur (?) de Somain : 
« — Eh ! bien, et les camarades ne veulent donc plus travailler ? 
— Eh non, me répondit il, nous ne savons pas pourquoi ; eux-mêmes ignorent la raison de ce chômage. 
— Mais que veulent-ils donc ?  
Et le bras se lève dans un geste qui complète le verbe de blâme. »  
Voilà, n’est-ce pas, qui est simple, et qui donne aussi une haute idée de la clientèle à laquelle on s'adresse. Mais tout de même, nous ne savions pas le « Progrès » si « patronal » et lire à côté de cela les déclarations du Congrès radical, rappelant les revendications ouvrières et s’y associant contre les Compagnies, c’est vraiment d’une incommensurable ironie. 
Mais la feuille reptilienne des cagots de Valenciennes ne saurait être dépassée en niaiserie ; après avoir publié la statistique officielle des descentes, elle constate que : 
« Les meneurs de la grève dans le bassin d’Anzin sont affolés par l’énergique résistance des jaunes. Ne pouvant parvenir à leur faire quitter le travail, ils ont recours aux pires violences et aux menaces les plus farouches. » 
Je crois qu’on peut tirer l’échelle ! 

Les Ukases préfectoraux 
LES PROTESTATIONS 


L'application des fameux arrêtés de salut public promulgués par le podestat de la préfecture de Lille, n’est pas sans soulever des protestations. 
Ce sont des mesures vexatoires, et que rien ne justifiait : c’est une preuve de crainte et de défiance injurieuse à l'égard des grévistes et des municipalités et dont l'effet ira, plutôt à l’encontre de ce qu’on en attendait. A Denain, dimanche, le commissaire de police se disposait à user fort maladroitement de rigueur, et si des troubles s'étaient produits, il aurait eu sa part très large de responsabilité. 
Fort heureusement, des réflexions lui vinrent qui modifièrent sa tactique, et l’on se borna à des contraventions, dont la légalité n'est pas complètement démontrée. 
A la Sentinelle, le Conseil municipal a adressé au préfet la protestation suivante : « Le Conseil municipal de la Sentinelle, réuni en séance le 12 octobre courant, sur la proposition du maire M. Linard, proteste avec indignation contre la mesure prise par le gouvernement concernant l’arrêté de fermeture des cabarets, mesure qui va causer un grand préjudice au commerce local. » De nombreux consens municipaux vont protester de leur côté.

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